Petit, je souffrais parfois à différencier mes souvenirs de mes rêves.
Des endroits, des maisons, des villes entières que j'ai pu rêver à l'époque et que j'ai cru réels pendant longtemps.
Tant et si bien qu'un jour, j'en ai rêvé qu'une rue n'existait pas. Et le pire est que je me félicitais, pour une fois, de pouvoir dire à coup sur que cette rue n'existait que dans mes rêves.
Il y a quelques années, adulte et faisant un passage dans mon village d'enfance, je découvrais cette rue qui ne devait exister que pour moi dans toute sa réalité morne.
Et je ressentis, pour quelques secondes, à nouveau l'émerveillement d'un enfant devant l'innatendu.
C'était un sentiment oublié depuis si longtemps, et qui avait un arrière-gout d'amertume, comme si, n'ayant pas été préparé, je n'avais pu profiter pleinement de cet écho lointain de ma naïveté, depuis disparue.
Je m'imaginais alors la frustration inverse, d'un lieu m'appartenant à moi seul mais dont j'aurai "perdu la clé".
Au moins, la mélancholie me donne un peu d'inspiration :
Où est le rêve, où est la réalité ?
Et cette rue qui fut la grève de ma mer de la tranquillité
Le clair de lune est bien plus terne que dans ma virtualité
Je m'en veux d'avoir perdu ce sens de l'irréalité
Quand j'errai sur les trottoirs d'une rue sans nom et sans fenêtres
Où seuls mes pas remplissaient ce silence loin de la tempête
Le temps s'arrêtait pour laisser passer mon ombre, confus ;
Elle qui envoyait sur les murs son éclat sombre et diffus
J'étais calme et serein. A la merci du moindre grain de sable
Mais inquiet pour rien au monde, j'arpentais cette allée improbable
Attendant le moment idéal pour sortir de ma bulle
Au coeur de ces terres je n'étais jamais ridicule
Depuis j'ai bien vieilli, et j'ai perdu mon abri
Je prends le monde en pleine gueule, intérieurement je gémis
Je vis dans un monde qui ne me connaît pas
L'adulte que je suis s'empêche d'aller là-bas
Dorénavant je marche à l'affût du sale coup
Dans ces rues, partie aérienne des égouts
Le regard perdu vers l'horizon
Je cherche la personne qui aura le don
De me regarder en face, me remettre à ma place
Et m'emmener quelque fois, quand elle le voudra
Dans ce havre de paix où j'oublierai regrets,
Remords et rancœur blotti tout contre son cœur